Ce premier volume de À la recherche du temps perdu est divisé en trois parties. La première, Combray, où le narrateur raconte une partie de son enfance et son besoin d’avoir sa mère toute proche. On suit les amours compliquées de Charles Swann dans la seconde partie, Un amour de Swann, personnage déjà croisé dans Combray. La troisième partie, Noms de pays : le nom, raconte les envies de voyage du jeune narrateur et ses jeux dans les jardins des Champs-Élysées avec Gilberte, la fille de Swann. Ce premier volume est celui qui commence par l’incipit le plus connu de la littérature française “Longtemps, je me suis couché de bonne heure” et qui contient la scène de la madeleine, cette madeleine de Proust qui nous fait revenir un événement en mémoire… Cela laisse à penser que tout Proust est contenu dans ce premier volume et que peu de gens ont lu la suite. Ce qui serait compréhensible. J’ai trouvé l’écriture magnifique, mais elle met un peu en apnée, car il y a peu de ponctuation et presque pas de paragraphes et les compléments de verbe et autres sont enchâssés les uns dans les autres comme des poupées russes, créant des phrases très longues. Très belle prose, mais à lire dans un endroit calme.
“C’est qu’aussi – comme il arrive dans ces moments de rêverie au milieu de la nature où l’action de l’habitude étant suspendue, nos notions abstraites des choses mises de côté, nous croyons d’une foi profonde, à l’originalité, à la vie individuelle du lieu où nous nous trouvons – la passante qu’appelait mon désir me semblait être non un exemplaire quelconque de ce type général : la femme, mais un produit nécessaire et naturel de ce sol. Car en ce temps-là tout ce qui n’était pas moi, la terre et les êtres, me paraissait plus précieux, plus important, doué d’une existence plus réelle que cela ne parait aux hommes faits. Et la terre et les êtres je ne les séparais pas. J’avais le désir d’une paysanne de Méséglise ou de Roussainville, d’une pêcheuse de Balbec, comme j’avais le désir de Méséglise et de Balbec. Le plaisir qu’elles pouvaient me donner m’aurait paru moins vrai, je n’aurais plus cru en lui, si j’en avais modifié à ma guise les conditions. Connaître à Paris une pêcheuse de Balbec ou une paysanne de Méséglise c’eût été recevoir des coquillages que je n’aurais pas vus sur la plage, une fougère que je n’aurais pas trouvée dans les bois, c’eût été retrancher au plaisir que la femme me donnerait tous ceux au milieu desquels l’avait enveloppée mon imagination. Mais errer ainsi dans les bois de Roussainville sans une paysanne à embrasser, c’était ne pas connaître de ces bois le trésor caché, la beauté profonde. Cette fille que je ne voyais que criblée de feuillages, elle était elle-même pour moi comme une plante locale d’une espèce plus élevée seulement que les autres et dont la structure permet d’approcher de plus près qu’en elles, la saveur profonde du pays. Je pouvais d’autant plus facilement le croire (et que les caresses par lesquelles elle m’y ferait parvenir, seraient aussi d’une sorte particulière et dont je n’aurais pas pu connaître le plaisir par une autre qu’elle), que j’étais pour longtemps encore à l’âge où l’on n’a pas encore abstrait ce plaisir de la possession des femmes différentes avec lesquelles on l’a goûté, où on ne l’a pas réduit à une notion générale qui les fait considérer dès lors comme les instruments interchangeables d’un plaisir toujours identique.”