À travers une galerie de portraits entremêlés, ce récit plonge au cœur de la Ruée vers l’or et de la guerre de Sécession, dévoilant la vie tourmentée de ceux qui ont traversé ces périodes troublées. Prostituée en quête d’une échappatoire, déserteur hanté par la lâcheté et la survie, indigène dépossédé de sa terre et de son identité, révérend égaré entre foi et désillusion… Autant de destins marqués par la rudesse d’un monde sans pitié, où chaque jour est un combat, chaque espoir une lueur vacillante. Tout est souillé : les corps, les âmes, les rêves. La violence imprègne chaque page, non pas comme une simple brutalité, mais comme un reflet implacable de la réalité. Pourtant, au-delà de cette âpreté, l’écriture elle-même déploie une poésie saisissante, une beauté brute qui sublime l’horreur. C’est un texte d’une puissance rare, à la fois âpre et envoûtant.
“Elle choisit d’obéir à son corps et s’allongea contre l’homme, tout proche de sa tête, comme elle le faisait avec son petit Tekwa le soir, dans la hutte, et porta son sein près de la bouche asséchée. L’homme des bois reçut quelques gouttes d’un lait suave, et ses lèvres avides trouvèrent le mamelon, un fils à sauver. s’y pressèrent et sucèrent lentement, puis avec plus de puissance ce corps qui l’abreuvait en silence. L’homme buvait Kinta, et de ses yeux bruns coulait le peu d’eau qui restait de ce grand corps velu, des larmes presque sèches. Et Kinta, le visage tourné vers le ciel, jouissait de nourrir ce géant étranger à son sang, comme jouissent parfois les mères, bien au-delà du sexe, bien au-delà du corps, régnant sur un territoire infini que nul homme ne saurait jamais conquérir, un territoire d’une absolue permanence, et qui tous nous domine, nous assiège et nous soumet: l’insoutenable dette de la vie.”