‘Abd Allâh est un pauvre pêcheur qui peine à faire vivre sa famille. Un jour, il remonte dans son filet un homme de la mer qui lui propose un marché. En échange de fruits quotidiennement, il lui remonte du fond de la mer des pierres précieuses. C’est le début de l’amitié d’Abd Allâh de la Terre et d’Abd Allâh de la Mer. ‘Abd Allâh de la Terre devient donc riche et l’ami du calife. Un jour, ‘Abd Allâh de la Mer fait visiter son royaume à ‘Abd Allâh de la Terre. Ils croisent une cérémonie de deuil à laquelle tout le monde est joyeux et ‘Abd Allâh de la Terre s’en étonne. Il explique que sur la Terre, tout le monde pleure les morts. ‘Abd Allâh de la Mer est outré qu’on puisse pleurer alors que c’est Dieu juste qui reprend son cadeau et décide sur le champ qu’Abd Allâh de la Terre n’est plus son ami. Ils ne se reverront jamais.

“À un moment, ce furent des chants, des cris de joie, des nappes étalées, avec du poisson, et des gens qui chantaient, mangeaient, dans l’allégresse générale. “Pourquoi donc tant de joie, chez tous ceux-là ? demanda ‘Abd Allah. S’agit-il d’une noce ? – Pas de noce chez nous, répondit son ami. C’est autre chose, ici : il y a un mort parmi eux. – Et quand l’un d’entre vous meurt, vous vous en réjouissez, vous mangez, vous chantez ? – Oui. Et vous, gens de la terre, que faites-vous ? – Nous sommes tristes, nous pleurons, les femmes se frappent le visage et déchirent le collet de leur robe, dans la tristesse où nous laisse le mort.
‘Abd Allâh de la Mer, ouvrant de grands yeux, dit : “Rends-moi mon offrande !” Quand il l’eut récupérée, il emmena ‘Abd Allâh de la Terre hors de l’eau et lui dit : “Je ne veux plus de ta compagnie ni de ton amitié. De ce jour, tu ne me verras plus, et je ne te verrai pas davantage. – Mais pourquoi me parler ainsi ? N’êtes-vous pas, gens de la terre, une offrande de Dieu ? – Bien sûr que si. – Alors, pourquoi pleurez-vous, pourquoi n’acceptez-vous pas de bon cœur que Dieu reprenne son offrande ? Comment te donner la mienne pour le Prophète – sur lui bénédictions et salut de Dieu ! – quand vous êtes là à vous réjouir de la venue d’un nouveau-né à qui Dieu fait offrande de la vie, et puis à pleurer, à vous attrister et révolter quand il la reprend ? Nous n’avons nul besoin de votre amitié.” Et laissant là ‘Abd Allâh de la Terre, l’autre ‘Abd Allâh disparut dans la mer.”